Le concept de monachisme est un concept ancien et se retrouve dans de nombreuses religions et philosophies. Au cours des siècles précédant la naissance du Christ, l’hindouisme, le bouddhisme et le judaïsme ont tous développé des styles de vie proposant un type de renoncement au monde tantôt en vivant comme un ascète solitaire, tantôt au sein d’une communauté afin d’obtenir la libération, la purification ou l’union à Dieu.
Le monachisme chrétien s’est inspiré des exemples des prophètes Elie et Jean le Baptiste, qui vécurent tous deux seuls dans le désert, et surtout du récit évangélique de la lutte solitaire de Jésus contre Satan dans le désert, avant son ministère public. À partir de l’Exode et tout au long de l’Ancien Testament, le désert a été considéré comme un lieu de ressourcement spirituel et de retour à Dieu. Bien qu’il y ait eu des ascètes, en particulier des femmes ascètes, parmi les premières générations de chrétiens, ils vivaient généralement dans les bourgs et les villes.
Saint Antoine le Grand (251-356) fut le premier chrétien bien connu à se retirer dans le désert. Selon la Vie d’Antoine, écrite par saint Athanase vers le milieu du IV°s., Antoine se retira dans les déserts d’Egypte pour y mener une vie ascétique intense dans le seul but de chercher Dieu dans la prière solitaire. Il resta seul jusqu’à ce que sa sainteté et son humanité rayonnante attirent autour de lui un cercle de plus en plus important de disciples. Son influence fut si grande qu’il est considéré aujourd’hui comme le père, non seulement du mouvement des Pères et Mères du désert des IV°-V°s. en Egypte, mais aussi comme le père de toute la famille monastique chrétienne.
Même si les premiers Pères du désert vivaient en ermites, ils étaient rarement complètement isolés ; en effet, ils vivaient à proximité les uns des autres et assez tôt des regroupements informels commencèrent à se constituer dans des endroits comme le désert de Nitrie et le désert de Scété. Le passage de l’ermite («anachorète») au moine (« cénobite ») qui vit en communauté sous un abbé, est arrivé rapidement, lorsqu’en 346 saint Pacôme établit en Egypte le premier monastère cénobitique chrétien.
La tradition du monachisme de l’Eglise d’Orient est parvenue jusqu’à l’Église d’Occident grâce à saint Jean Cassien (environ 360 – 435). Alors jeune adulte, il entra avec un de ses amis, Germain, dans un monastère de Palestine puis partit en Egypte pour rendre visite aux groupes d’ermites de Nitrie. Plusieurs années plus tard, Cassien fonda un monastère de moines, et probablement aussi de religieuses, près de Marseille, et en partie pour lutter contre des pratiques corrompues qu’il avait trouvées dans le monachisme occidental, il écrivit deux longs ouvrages, Les Institutions et Les Conférences. Dans ces livres, non seulement il transmit son expérience de l’Egypte (on y trouve peut-être le record de la plus ancienne transmission écrite de la pensée des Pères du désert), mais il a également donné au monachisme chrétien une solide base évangélique et théologique.
L’influence de Cassien a été énorme et a duré pendant des siècles – même la plus petite bibliothèque monastique du Moyen Age en Europe avait sa copie de Cassien. De plus, Saint Benoît s’inspira de la pensée de Cassien pour écrire sa règle et recommanda à ses moines de lire ses œuvres. Comme la Règle de saint Benoît est encore utilisée par les moines bénédictins, cisterciens, trappistes, cela signifie que la pensée de Jean Cassien, et la tradition du désert avec lui, guident encore la vie spirituelle de milliers d’hommes et de femmes dans l’Église catholique.
Notre croix, c’est la crainte du Seigneur. De même que celui qui est crucifié n’a plus la possibilité de remuer ses membres et de se tourner là où bon lui semble, de même devons-nous, nous aussi, régler notre volonté et nos désirs non plus selon ce qui nous est agréable et qui nous plaît seulement, mais selon la loi du Seigneur, là où elle nous a attachés. Celui qui est attaché à la croix ne considère plus les choses présentes, ne pense plus à satisfaire ses passions, n’a plus aucun soin ni aucune inquiétude pour le lendemain ; il n’est plus excité par le désir de posséder quoi que ce soit ; il ne se laisse pas emporter à l’orgueil, aux rivalités ni aux disputes ; il n’a plus aucun ressentiment des injures qu’on lui fait, ni aucun souvenir de celles qu’il a subies ; bien qu’encore en vie, il s’estime mort déjà à tous les éléments de ce monde, l’attention de son coeur étant déjà tournée vers le lieu où il sait qu’il va bientôt passer…
Jean Cassien, Institutions Cénobitiques, Livre IV ch. 35